Artère, pour la relève artistique Montréalaise

L'exposition Flux Incapacitor: Amalle Dublon & Constantina Zavitsanos réunit une série d'œuvres collaboratives et individuelles qui soutiennent que la dépendance, la dette — le sentiment d’être redevable — et le soin sont des formes d'abondance plutôt que de manque. En abordant la question de la dépendance, les artistes proposent une vision imaginaire de la physique quantique où l'enchevêtrement, l'interférence et les phénomènes tributaires de l’observateur·trice compromettent la séparabilité des savoirs. Les artistes explorent ces idées à travers le son, la lumière, la matérialité et le mouvement, et, par le biais du langage et de l'amour, en étendent la portée aux modes de vie, considérant ainsi la sensibilité comme une forme de résistance.

Dans l'œuvre vidéo collaborative April 4, 1980, les sous-titres sont le médium principal. Bien qu'ils soient indispensables à l'accessibilité du contenu pour certain·e·s, les sous-titres sont généralement considérés comme un ajout obligé, voire une contrariété esthétique. Souvent d’ailleurs, le texte des sous-titres défile à la course pour s’arrimer au dialogue parlé. Ici, ils sont ralentis et suivent le temps réel nécessaire à leur lecture. De plus, comme le son est déformé au point d'être incompréhensible, l’expérience des spectateur·trice·s S/sourd·e·s, malentendant·e·s et entendant·e·s se rapproche.

Avec All the time, Zavitsanos affirme que «l'interférence fait les choses». Deux vidéos textuelles sont projetées en superposition, devenant ainsi illisibles. Toutefois, lorsqu'une personne se déplace dans l'installation, le dispositif se divise: l’une des images est bloquée, rendant l'autre lisible. Ce mécanisme matérialise les idées exprimées par le texte même, où une voix ambigüe s'adresse tendrement à une autre tout aussi ambigüe, ruminant que «certaines choses prennent de l’ampleur quand vous les supprimez», invoquant ainsi un paradigme d'abondance.

Disponible sous forme de texte et d'enregistrement audio, Known Donor Agreement est le contrat rédigé par Amalle Dublon en collaboration avec Jordan Lord qui lui fait don de sperme. Les accords conventionnels à ce sujet sont souvent destinés à rompre les revendications ou les obligations parentales et passent sous silence les indéterminations liées à la conception, à la grossesse et à la garde de l'enfant. Le présent texte va à l'encontre de son propre contractualisme en stipulant des ententes mutuelles qui tentent de remettre en question la temporalité du consentement, de maintenir ou faire place à différentes possibilités, au soin et à la gestion des risques.

A composition of waters (adjusted to fit) simule le motif de l'expérience de Davisson-Germer de 1927 dans laquelle un faisceau lumineux est dirigé vers un écran à deux fentes pour créer deux faisceaux qui interfèrent l'un avec l'autre pour produire une vibration de cercles concentriques. Ce motif est repris dans l'œuvre et projeté sur de l'eau, sur laquelle est ensuite versée de l’huile, faisant référence à la magie protectrice utilisée pour éloigner le mauvais œil. Les artistes combinent ici la science et le rituel, pointant qu’un phénomène, l'observation et la mesure ne sont pas indépendants ou absolus, mais plutôt corrélés, sensibles et interreliés.

L'œuvre Girl there's a better life de Constantina Zavitsanos attire l'attention sur ce qui opère en lieu et place de l'incapacité. Le contenu de deux lettres se superpose perpendiculairement, rendant le texte illisible puisque bloqué par son opposé — mais aussi irrévocablement lié. Cette image défile, passant du flou à une image nette, parfois comme s'il s'agissait d'un spécimen sous un microscope et d’autres comme s'il s'agissait de la mise au point d’une technologie de surveillance en direct. Deux chansons entrainantes glissent de l’une à l’autre en alternance et entourent l'illisibilité de l'image d'un optimisme contestataire pointant vers «une vie meilleure».